Les roches magmatiques et volcano-sédimentairesIntroductionDe toutes les cartes de la Wallonie, celle de Rebecq - Ittre
est sans aucun doute celle qui montre la plus forte abondance
de roches magmatiques. On y trouve en effet, l’intrusion subcirculaire
de Quenast entaillée par une gigantesque carrière, ainsi
que l’intrusion tabulaire (sill) de Bierghes également exploitée
à ciel ouvert. Outre ces deux intrusions, des roches volcaniques
et volcano-sédimentaires appartenant à la Formation de Madot
(fin Caradocien à Ashgillien) s’observent en plusieurs points.
On signalera également à Lembeek la « diorite de Saint-Véron »
qui est encore visible dans une petite carrière noyée de faible
dimension. Les descriptions anciennes et des investigations
récentes (résumées dans Piessens et al., 2004, pp. 22-24)
montrent que c’est un corps intrusif recoupant la Formation de
Tubize et qu’il est vraisemblablement d’âge cambrien.
Ces roches sont connues depuis le début des investigations
géologiques dans nos contrées (Omalius d’Halloy, 1808 ;
Dumont, 1847) car elles étaient déjà souvent exploitées. La thèse
de L. André consacrée au magmatisme du Massif du Brabant
(André, 1983) montre que l’activité magmatique s’étend depuis
la partie tout à fait supérieure de l’Ordovicien jusqu’au début
du Silurien. Cette activité est concentrée le long d’une ceinture
en arc de cercle qui suit le bord sud du massif où trois centres
émissifs majeurs sont reconnus (André in André et al., 1991) : à
l’ouest le centre de Deerlijk uniquement connu par sondage, au
centre la région de Quenast-Bierghes-Lessines et enfin à l’est, la
région de la Mehaigne.
Malgré leur assez grande diversité pétrographique
(Denayer, Mortelmans, 1954 ; Corin, 1965), toutes ces
manifestations volcaniques sont homogènes d’un point de
vue géochimique et forment une province géochimique
calco-alcaline (André, 1983 ; André et al., 1986). Ces roches
dérivent toutes d’un magma parental similaire et de processus de
différenciation basse-pression très proches où le plagioclase est la
phase minérale séparée dominante. Cette province géochimique
témoignerait d’un épisode de subduction à mettre en relation
avec le début de la collision entre la plaque Avalonia et la plaque
Baltica. Cet épisode de subduction de la lithosphère océanique
sous la partie ouest du microcontinent Avalonia (Verniers
et al., 2002 p. 80-82) est connu jusqu’en Angleterre (Pharaoh
et al., 1991, 1993). Il semble assez bref (fin Caradocien-base du
Wenlockien) et son paroxisme est daté avec précision de la fin
du Caradocien jusqu’au milieu de l’Ashgillien (chitinozoaires de
la Formation de Madot, Vanmeirhaeghe et al., 2005) ce qui est
un peu plus tôt que ce qui avait été écrit par Van Grootel et al.
(1997).
L’intrusion de « porphyre » de Quenast (h)IntroductionLes documents les plus anciens faisant mention de
l’exploitation de la pierre à Quenast-Rebecq remontent au
16ème siècle (Pire, 1998). La carte Ferraris mentionne aussi
les carrières en 1777. À la moitié du 18ème siècle, on comptait
7 carrières qui totalisaient 21 ouvriers. À partir de 1844, suite
au creusement du canal Bruxelles - Charleroi, d’un « chemin à
ornières de fer » et au développement des machines à vapeur,
l’évolution est rapide et on passe de l’artisanat à l’industrie. En
1846, Quenast reçoit commande de 150 000 pavés spéciaux
suivie d’un marché de 1 200 000 pavés pour la ville de Paris.
En 1864, le regroupement des carrières en une seule
société la « S.A. des carrières de porphyre de Quenast » dirigée
successivement par M. Zaman (1869), Urban (1908) et Jacques
(1986) donne une envergure européenne à l’exploitation.
L’approfondissement progressif de la carrière nécessite en
1875 le creusement d’un tunnel de 125 m, dans les schistes
et porphyres de l’encaissant, pour évacuer les matériaux.
L’exploitation de plus en plus intensive des pavés, puis du
concassé donne naissance à la grande carrière actuelle qui
empiète progressivement sur les voisines.
En 1985, les carrières sont reprises par la Gralex S.A.
(qui exploite aussi le sill de Lessines) qui poursuit l’exploitation.
Cette carrière fait plus de 1 200 m dans sa plus grande largeur
et plus de 100 m de profondeur. Elle a une production de l’ordre
de 1,5 millions de tonnes de granulats de haute qualité qui sont
utilisés comme balast pour les chemins de fer (en particulier
le TGV), pour les revêtements d’usure en travaux routiers, les
bétons de très bonne qualité ou à haute résistance, etc.
GéologieOn trouvera dans les monographies de Denayer,
Mortelmans (1954) et Corin (1965) des synthèses exhaustives
des travaux géologiques antérieurs concernant ce qu’on
appelle communément le « porphyre » de Quenast. C’est une
microdiorite quartzique à structure porphyrique ayant subi des
modifications minéralogiques post-magmatiques importantes.
On utilise parfois aussi le terme de dacite qui est l’équivalent
dans la nomenclature des roches volcaniques.
Pour André, in André et al. (1991) et André et Deutsch (1985) cette microdiorite forme un corps cylindrique à section
elliptique de 2 km dans sa plus grande largeur, intrusif dans les
schistes ordoviciens. Sa limite nord-est est marquée par une
zone de failles subverticales de direction E-W ou NW-SE (avec
brèches et grosses veines de quartz) qu’il considère comme
faisant partie de la zone de faille Nieuwpoort-Asquempont (cf.
4.2.5. b). Debacker (2001) est du même avis, mais attribue
la position particulière de ces failles au nord de l’intrusion
à la présence d’une zone de forte déformation induite lors du
plissement par la différence de compétence entre la diorite
rigide et les schistes plus plastiques. Cette hypothèse est
étayée par de nettes variations de la direction de la schistosité
autour du corps dioritique, cette dernière s’oriente en effet
parallèlement au contour nord de l’intrusion face à la direction
du raccourcissement N-S. Il est aussi fort probable que cette
zone de faiblesse ait rejoué en failles normales dans le système
de failles Nieuwpoort-Asquempont (Dewaele, Muchez, 2004).
La partie sud de la carrière est également traversée par une zone
faillée de direction WNW-ESE (voir carte).
Cette intrusion a toutes les caractéristiques d’un
conduit volcanique mis en place dans la partie supérieure de la
lithosphère (quelques km de profondeur). Initialement, lors de
sa mise en place, c’était une diorite porphyrique à hornblende
très homogène formée de grands cristaux de plagioclase, de
hornblende, de quartz et d’ilménite baignant dans une mésostase
de très fins cristaux. Actuellement, elle montre quatre zones
concentriques d’altération dont les paragenèses de faciès schiste
vert se sont développées durant un évènement hydrothermal
daté de 433+/-28 Ma (Rb-Sr sur roche totale, André, Deutsch,
1986), peu de temps après la mise en place du magma datée
de 438+/-10 Ma (U/Pb sur zircon, André, Deutsch, 1984). On
trouve ainsi au niveau topographique 50 m, du bord vers le
centre de l’intrusion :
Dans les zones les plus profondes de la carrière, la 2e et
la 3e zones sont remplacées par une zone à biotite. La mésostase
est formée par un mélange très fin de quartz et de feldspath, avec
éventuellement chlorite, biotite et sphène. Les isotopes du Sr ont
montré que l’altération hydrothermale est due à une circulation
convective des eaux connées.
La diorite contient deux types d’enclaves, les premières
n’ont pas de relation avec le magma parental (xénolithes), ce
sont dans l’ordre d’abondance : des schistes plus ou moins
métamorphisés, des micaschistes et des gneiss. Les secondes
sont des enclaves microgrenues de taille millimétriques à
métriques et des enclaves à structure de cumulat (plagioclase)
qui sont liées à l’histoire du magma.
Contours de l’intrusion sous couverture et nature de l’encaissantPlusieurs campagnes de sondage effectuées par les
exploitants nous ont permis de délimiter avec une bonne précision
les contours de l’intrusion sous la couverture cénozoïque.
On remarquera que la carrière en exploitation (état en 2001)
n’occupe que la moitié nord du corps intrusif qui se poursuit
vers le sud, de l’autre côté de la route Rebecq-Hennuyères où
s’observent trois anciennes exploitations. On notera également
le lobe au sud-est qui rejoint presque les affleurements volcanosédimentaires
de la Formation de Madot à Hennuyères.
Les anciennes cartes et la littérature (Fourmarier, 1920 ;
Mortelmans, 1937 ; Legrand, 1968 ; Beugnies in Waterlot
et al., 1973) semblent montrer que les schistes encaissants
sont essentiellement ceux de la Formation de Rigenée. Ce levé
montre au contraire que l’intrusion recoupe une bonne partie des
formations de l’Ordovicien, depuis la Formation de Rigenée au
nord, jusqu’aux formations d’Ittre, de Bornival, de l’Hospice de
Rebecq à l’ouest, de Huet et de Fauquez au sud-ouest et fort
probablement de Madot à son extrémité sud. On ne connaît pas
la géométrie de l’intrusion en profondeur.
Remarques concernant l’âge de mise en place de l’intrusionTelle qu’elle apparaît sur la carte l’intrusion de Quenast
semble être un corps intrusif post-tectonique. En effet, la
carte montre un massif en forme de corps cylindrique dont le
contour elliptique subcirculaire recoupe à l’emporte-pièce
plusieurs formations dont la stratification est redressée. Le corps
magmatique est apparemment (manque d’étude exhaustive
récente) exempt de structures de déformation pénétratives
comme mylonitisation ou schistosité.
Cette observation est apparemment en contradiction avec
les données de la littérature. Un premier argument est l’âge de
mise en place déduit de la datation des zircons (433+/-10 Ma ;
André, Deutsch, 1984) qui correspondait à la limite Ordovicien-
Silurien mais actuellement au sommet du Llandovery (Silurien)
(fig. 3). Cependant, si on examine ces données de manière
critique (nous remercions J.-P. Liègeois pour l’aide fournie) on
peut dire que la discordia construite avec les trois lots de zircon
montre un intercept supérieur vers 4 850 Ma qui est dénué de
signification géologique et invalide donc cette construction.
Néanmoins, sur les trois lots de zircon, un seul (provenant d’une
enclave) est subconcordant et donne un âge de mise en place
de 430+/-60 Ma, il s’agit d’un âge minimum. Il est donc clair
que cet argument de datation n’est plus valable avec les normes
actuelles et qu’une nouvelle datation sur zircons individuels
devrait être faite. On peut néanmoins faire remarquer que l’âge
de 430 Ma est assez éloigné de l’âge du pic de volcanisme
(448 Ma, fig. 3) déduit des chitinozoaires de la Formation de
Madot (cf. 2.1. Description de la Formation de Madot).
Un second argument est l’influence exercée par
l’intrusion de Quenast sur la déformation (Debacker, Sintubin,
2008). En effet, comme il vient d’être décrit plus haut (cf.
3.2.2.), les variations de la schistosité autour de l’intrusion
suggèrent fortement une mise en place de l’intrusion antérieure
à la formation de la schistosité. Des données complémentaires
(Debacker, non publié) montrent aussi que l’intensité de la
schistosité (mesurée au goniomètre de texture) est plus forte
au nord et diminue vers l’ouest-nord-ouest, ce qui confirme
l’hypothèse d’un raccourcissement orienté N-S. Cette
dissymétrie permet d’infirmer une autre hypothèse qui serait
celle d’une schistosité induite par la mise en place du corps
magmatique après plissement.
En conclusion, ceci montre qu’il faut être prudent et que
l’âge de la mise en place de l’intrusion de Quenast n’est pas
encore parfaitement prouvé, même si nous pensons qu’il y a
actuellement plus d’arguments en faveur d’une mise en place
syn -à anté- tectonique.
Le sill de Bierghes (h)La carrière de Bierghes a été ouverte en 1873 (Corin et al.,
1964 ; Corin, 1965) pour exploiter un « porphyre » assez proche
de celui de Quenast et de Lessines. La carrière est toujours
exploitée pour granulats par la société Carrières Unies de
Porphyre.
GéologieOn trouvera une synthèse des travaux géologiques
antérieurs dans Denayer et Mortelmans (1954) et Corin (1965).
On signalera également l’étude très complète de Corin et al.
(1964). Ce qui frappe l’observateur en visite à Bierghes c’est la
structure columnaire qui s’observe au nord de la carrière, alors
que vers le sud la roche est plus massive. Ce débitage en prisme,
déjà décrit par de la Vallée Poussin et Renard (1885), est encore
visible sur une hauteur de l’ordre de 15 à 20 m sur la paroi nordouest
de l’excavation. Les prismes, fort redressés (d = N54°E,
p = 60°NE), montrent une section pentagonale d’un diamètre
moyen de 30 cm et des joints à enduit chloriteux. La formation
des prismes est bien due au refroidissement du corps intrusif
(Schippers, 1979), elle serait donc grossièrement perpendiculaire
à la pente générale des couches sédimentaires encaissantes si
c’est un filon-couche (sill). La succession observée du nord vers
le sud (prismes-dalles-roche massive) étaye l’hypothèse d’un sill
à pente de 30° sud-ouest, assez comparable à celui de Lessines
(André, in Robaszynski, Dupuis, 1983).
Pour André (1983) et André et Deutsch (1985)
l’intrusion de Bierghes est bien un sill, c’est-à-dire un corps
tabulaire de plus de 300 m d’épaisseur qui plonge de 30° vers
le sud-ouest. Son extension latérale n’est pas bien connue (cf.
3.3.2.) et pourrait, comme son homologue de Lessines, se
poursuivre sur plusieurs kilomètres (Tavernier et al., 1967). Au
point de vue pétrographique, c’est également une microdiorite
quartzique (dacite) profondément altérée. À la différence de
Quenast, on observe une importante foliation d’orientation
NW-SE à plongement de 50 à 85° vers le nord-est, qui semble
correspondre à la schistosité régionale (cf. 4.2.6.). André et
Deutsch (1985) signalent également une zone de mylonites à
carbonates liée à la zone de faille de Nieuwpoort-Asquempont
(zone faillée de Bierghes, Legrand, 1968 ; Corin, Ronchesne,
1936). Ces roches sont datées de 373 +/- 11 Ma (isochrone Rb-
Sr), valeur interprétée comme l’âge de formation de la zone
faillée. Les investigations géochimiques montrent que cette
intrusion non différenciée et l’intrusion de Quenast ont des
magmas de composition très proches.
Le système de veines à quartz-carbonates signalé par
André et Deutsch (op. cit.) a récemment fait l’objet d’une étude
minéralogique et thermométrique détaillée (Dewaele, Muchez,
2004) qui conclut à une minéralisation mésozonale orogénique
post-schistosité.
Extension de l’intrusion sous la couverture et nature de l’encaissantUne importante campagne de sondage effectuée par les
exploitants en 1973 nous a permis de délimiter avec précision
les contours de l’intrusion. Le porphyre affleure sous les limons
quaternaires peu épais (3 à 10 m) suivant une ellipse d’environ
1 000 m sur 700 m dont seule la partie est a été exploitée.
L’intrusion se poursuit vers l’ouest en s’élargissant sous la
couverture tertiaire (Formation de Kortrijk) rejoignant le toit du
socle qui semble localement un peu plus haut (cote 50 m). Au
bord ouest de la carte, le sill occupe une largeur E-W d’environ
1 100 m et se prolonge vraisemblablement sur la carte Bever-
Enghien (cf. écorché du socle).
Les schistes encaissants ne sont actuellement pas visibles
et on ne connaît ni leur appartenance stratigraphique, ni l’allure
de la stratification. Dans les archives de la planchette (point
SGB, planchette n°115 ouest, affleurement n°41), Malaise dit
que la carrière est ouverte « dans un porphyroïde stratifié avec
inclinaison au N60E, comme les phyllades voisins », direction
qui correspond à celle de la prismation (voir plus haut), mais
qui paraît incompatible avec l’allure des couches connues vers
Rebecq à 3 km vers le sud-est (et aussi avec la schistosité). Les
failles reportées sur la carte dans la carrière sont celles figurées
par André et Deutsch (1985, fig. 4).
Fig. 3. Stratigraphie de l’Ordovicien : âges absolus en millions d’années ;
GSSP : Global Boundary Stratotypes Section and Point ; (1)
étages globaux basés sur les GSSP ; (2) anciens étages ; « time
slice » modifiés d’après Webby et al. (2004) ; Massif du Brabant :
formations qui affleurent à son bord sud ; DAPING. : Dapingien ;
HIR. : Hirnantien ; LLAND : Llandoverien, base du Silurien ;
RHUD. : Rhuddanien.
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